As-tu retrouvé Rustine ?
Il y a quelques semaines j’avais adressé un message avec quelques propositions de sorties sur le secteur du Col d’Andorre : on devrait dire de Lhez (1)
Étienne Porcel, récente recrue du club et nouvellement installé à Salles était intéressé. L’occasion pour lui de découvrir un nouveau terrain de jeu qui surplombe presque sa demeure.
Aussi en ce 27 juin, nous voilà à pied d’œuvre pour une première visite exploratoire, le temps est bien bouché aussi on opte pour un objectif « proche et atteignable » : le gouffre des Aguillous !(2)
Comme d’habitude la journée débute par une marche d’approche depuis la barrière du Bergons.
Toute la journée nous serons emmitouflées dans une persistante couverture nuageuse, nimbée d’une humidité bien pénétrante. La montée est lente due aux sacs alourdis, gorgés de matériel. Si l’abondance de biens ne nuit pas, elle est un frein à la vitesse de déplacement. Mais nous ne sommes pas là pour assurer un chrono, au contraire, j’en profite pour lui montrer quelques zones à revoir, je lui commente les découvertes anciennes afin qu’il prenne bien possession des lieux, vue qu’il réside maintenant dans le secteur et il aura de quoi prospecter !
Le Pas de Brana (3) (Brèche du Pré du Roi sur la carte IGN) est escaladé promptement, sur la crête embrumée et sans GPS (j’ai oublié mon téléphone dans la voiture), on recherche le gouffre. Mes hésitations sont de courte durée, finalement je retrouve cette belle entrée béante de (12x4.5m). Un nouveau sondage réflexe, semble bien annoncer une grande verticale. Le bloc rocheux ricoche et file au loin avec cet écho de plus en plus feutré synonyme d’une belle profondeur : 40 m, plus ???
Photos prises un jour ensoleillé !
Géomorphologiquement, c’est un gouffre formé au profit d’un décollement de strate sub-verticale, qui se situe au sommet (1420m) de la lèvre sud du synclinal Crétacé (la bande orange sur la carte géologique) que nous explorons depuis des années. Comme on suspecte qu’au Col d’Andorre une série de fractures (identifiées sur la carte géologique) a dissocié la gouttière synclinale, la coupant en deux. Ainsi en ce point on se trouverait sur un faite de toit avec une gouttière partant vers l’Est, en direction de Lourdes dont la résurgence de Peyramale ou Houn des Labasses, au pied du Béout, serait le point de sortie majeur.
Quant à l’autre versant de la gouttière synclinale, il s’oriente vers l’Ouest en direction de la vallée de l’Ouzom. L’exsurgence majeure en serait Aygue Nègre, captée à des fins d’eau potable par la SMNEP. Avec d’autres apports, cette eau alimente plus de 100 000 personnes et se distribue jusqu’en périphérie Gersoise et Hautes-Pyrénées du coté de Vic en Bigorre et du secteur de Tarbes !
Une coloration sera très prochainement réalisée pour lever, nous l’espérons, ce mystère hydro-géologique.
carte géologique
Voilà qui est bien tentant, mais ce ne sera pas une première, car ce gouffre est connu depuis toujours. Il est même identifié sur le cadastre Napoléonien de Salles datant de 1825 et celui de Ségus en 1809, car il sert de borne cadastrale, on sait que les géomètres d’alors sous les ordres de l’ingénieur Leleu ont repris fidèlement les bornes déjà établies au moyen-âge, guidés par les autochtones et les élus.
Cadastre Napoléonien
Coté spéléo, malgré ce que l’on croyait, aux vues des données historiques, l’abbé Abadie ne semble pas l’avoir descendu, car celui qui est pointé sur sa carte correspond certainement au Gran Puts dets Carbouès situé plus bas en bordure du GR qui descend au Prat D’Aureilh (4). En septembre 1944, au cours de quelques jours l’abbé et ses compagnons : Michel Blanchet, Jean Lanoé, Edmond Ross et Michel Ponneau.... avaient ratissés le secteur et descendus quelques gouffres avant de se rendre au Pladi et de découvrir le gouffre des Pernes (aujourd’hui gouffre de la Courraou).
Carte Abadie
Ce gouffre aurait été exploré par la SSPPO (JP. Besson) dans les années 60 (?) et le GRAS en 1994 (traces de spits) puis déclaré irrémédiablement terminé comme le montre l’indice peint !
Croix
Notre visite du 27 juin 2023 (E. Pourcel, A. Dole) avait pour but de relever la topographie car elle est demeurée inexistante.
Après un équipement autour de deux hêtres, j’entame la descente dans une rampe à 50° en prenant soins de bien nettoyer la glissière jusqu’à une rupture de pente verticale, nécessitant la pose d’un relais. En effet, mes prédécesseurs y ont posé un spit, mais ce dernier est si oxydé que je suis contraint à en planter un nouveau.
Descente
La descente se poursuit sur 10 m dans un tube vertical sous lequel je ressens une belle verticale. Au passage un beau nid de chocards à bec jaune que je venais de déranger et qui tournoyaient pour tenter de me repousser. Mais lorsque l’on est casqué avec un marteau en main, le chocard comprend qu’il n’aura pas gain de cause et du coup il déserta les lieux !
10m plus bas, le puits s’évase en cloche dans la fracture orientée Est / Ouest. Un nouvel amarrage s’impose pour éviter un frottement. Étienne, est pompier professionnel au GRIMP, alors autant bien soigner l’équipement et lui montrer que je n’ai pas trop perdu les fondamentaux après des années à suivre mes coéquipiers préposés à l’équipement avec leurs perceuses à accus, alors que je suis en mode «old school» à la «spiteuse à main»... Un outillage du siècle dernier !
Libre !... Enfin, Étienne, impatient d’en découdre, peut à son tour se lancer dans le vide et profiter d’une belle descente.
De mon côté, je peux me laisser glisser rapidement d’un jet de 30 m et atteindre un épais tapis de feuilles humides que je devine au loin. Un cran de 2 m dans un goulet bloquant l’amoncellement de végétaux et me voici au-dessus d’un dernier petit puits. Un spit en place non oxydé permet de poser le dernier fractionnement.
Grande tirée
Un coup de phare au fond.
Tiens, une sangle bleue ? Le dernier à y être venu aurait-il oublié du matos ?
Au bas du dernier P6, une clochette, un GPS, quelques poils d’un chien en décomposition très avancée, presque totalement digéré par l’humus acide... Je récupère les colliers, les secouent et les remisent prestement dans le kit-bag. Soudain des odeurs de putréfactions envahissent cet endroit exigu
Colliers
Je ne traîne pas et remonte prestement. En haut Étienne est lui aussi enveloppé de vapeurs ragoutantes, du coup sa motivation faiblit, allez savoir pourquoi !
La topo se fera à la remontée tandis qu’Étienne gère le déséquipement, tout en sauvant des ténèbres deux belles salamandres tachetées. Sur la paroi de la tirée de 30 m, un carabe doré tente une impossible ascension, attiré vers par la lumière blafarde du jour qui le guide vers les hauteurs, je le dépasse sans effusions courtoises...
A la sortie, nous filons vers la perte du Col d’Andorre, nettoyer le kit et les colliers, mais aussi contrôler la perte qui doit être prochainement colorée.
Les abreuvoirs débordent mais la totalité du petit filet d’eau est goulûment absorbé par la fissure au contact Marnes / Crétacé.
Perte Andorre
On y relève la trace d’un Tachou (blaireau) qui est venu y boire.
Dans les abreuvoirs pullulent des tritons ou salamandres juvéniles, dans le brouillard un troupeau de chèvres déambule anarchiquement sur le plateau, les cornes difformes des deux boucs dans cette luminosité cotonneuse m’ont en une fraction de seconde remémoré les représentations diaboliques moyenâgeuses du Démon... Quel sale temps !
Salamandres juvéniles
Enfin le portable est opérationnel. Etienne téléphone au propriétaire du chien : monsieur Thierry Abadie, de Peyrouse, à qui l’on propose de lui ramener les colliers, c’est sur ma route...
L’annonce abrupte de notre trouvaille le laisse sans voix. On perçoit un immense chagrin, il espérait tant retrouver son compagnon de chasse. Une jeune chienne au nom de Rustine. Cet hiver elle suivait le sanglier et subitement l’écho de son GPS était devenu irrémédiablement muet.
Il l’a cherché partout sous les Aguillous sans deviner le gouffre qu’il ne connaissait pas. En désespoir de cause, il a pensé qu’elle avait peut-être recueillie. Remuant ciel et terre auprès des sociétés de chasse et autres sites de recherche... En vain.
La sente des bêtes passe au ras du gouffre, un saut, un écart au dernier moment du sanglier et «rustine» a filé tout droit happée par le « puts » béant, rebondissant sur les parois...
Une chute de 58 m dont on ne réchappe pas.
La «rustine» qu’ey crébat !
Le jus de sa décomposition coule et se diffuse. Il a certainement atteint Lourdes, à la Houn des Labasses. Et comme en 1985, il a été prouvé que la source Massabielle appartenait au même système. La mémoire de l’eau gardera sa trace miraculeuse et infinitésimale dans les multiples prélèvements des pèlerins. Ainsi, si cela pouvait consoler son propriétaire ?...
Topo
Toponymie
(1) Gérard Rohlf pense que ce mot provient du Basque et désigne une limite, En effet cette combe délimite bien le versant Sud du Col du même nom (ANDORRE).
D’après l’Abbé Abadie, ce n’est pas le Col d’ANDORRE, mais bien le Cot de LHEZ qui vient d’ALHÈS = lieu où pousse l’ail sauvage, il y en a partout dans ce secteur. ANDORRE est le pic qui se trouve plus à l’Ouest. Le cadastrale napoléonienne de Salles, section A, feuille N°2 de 1825 pourte lui le nom de quartier de LEIZ. D’après Simin Palay, Lès, lez, ou laize, désigne une bande d’étoffe entre deux coupes, ici l’analogie de la bande herbeuse est bien réelle et représente cette estive horizontale bordée au Sud par la pente de la montagne et au Nord par la barre rocheuse du même nom.
(2) AGUILLOUS = acéré, car situé en bordure d’une crête aiguisée…
Pourrait aussi venir de Aguíllo = fruit de l’érable (qui ressemble à un aigle les ailes déployées). Cependant dans ce lieu, le hêtre domine.
Provient aussi de la racine latine Aquilinus = aigle, ici les aiglons, qui auraient pu nicher dans ces hautes falaises (ou autres grands rapaces comme les vautours), très isolées, ce qui pour nous est plus vraisemblable.
(3) Passage du terrain couvert de bruyère (BRANÀ).
Peut-être confondu avec Pas de GRANA : col des grands passages (transhumance) !
Entre le Cot d’Andorre et Tresluns. Ce passage utilisé alors par les charbonniers et des bergers, il relie les estives de Ségus (Aüreilh) à celle de Salles (Alhès ou Lhez ou Leiz) !
Cependant on y trouve de très nombreux pieds de bruyères qui sont très envahissants...
Nommé abusivement sur la Carte IGN : Escala du Prat dou Rey.
(4) PRAT D’AURELH, AOUREY, OURREY = Venté, exposé à tous les vents d’après l’Abbé Abadie (sur la carte IGN appelé abusivement PRAT DOU REY puis transformé en pré du roi !). Le Vent d’Ouest dominant s’engouffre dans la Vallée...
Autre version possible DOU REY, ferait référence au rayon de soleil à la tombée du jour sous certaines conditions (fin de l’été, automne, solstice ?) passe par la brèche (du même nom) et qui illuminerait sectoriellement la vallée et la cabane.
Enfin, plus plausible, selon Simin Palay, «ouralha» ou «ouràu» veut dire : orée, bord, lisière d’un champ, d’un bois. L’énigmatique «Pré du Roi» ainsi que la «Brèche du Roi» marquait donc la limite entre Batsurguère et Estrem de Salles. (info M. Bartoli)
Alain Dole
Quel article, tu étais gonflé à bloc. Un peu normal, avec la rustine.
RépondreSupprimerDeux précisions a apporter car elles nécessitent un complément d'informations
RépondreSupprimer- es ce que Rustine était gonflée ?
- sur la photo où est la croix indiquant que le trou est terminé on voit une fougère. Peut on avoir des précisions sur cette variété ?
Ces observations ne visent qu'à enrichir ce fabuleux CR d'exploration. Merci.
Je vous remercie énormément, Alain et Étienne, pour avoir mis fin au mystère de la disparition de Rustine. Depuis fin novembre, je l'ai effectivement cherché désespérément. Rustine était une jeune chienne de 2 ans très prometteuse et très affectueuse. Sa perte m'a beaucoup attristé. Votre découverte m'a permis de savoir ce qu'il s'était réellement passé et de faire mon deuil. Je vous remercie aussi de m'avoir ramené le matériel. Je vous souhaite une bonne continuation dans vos sorties. Felicitations pour votre blog qui communique agréablement votre passion pour la spéléologie !
RépondreSupprimerThierry Abadie