Rien que du vide !!!!

Cantabria, dimanche 12 septembre 2021

Nous voici, Gelo et moi, de nouveau à l'entrée du C8, la cinquième fois depuis le début de l'été. Ce matin il fait beau sur la Cantabria et cela nous change des marches d'approches sous la bruine ou dans le brouillard. En moins d'une heure nous sommes à l'entrée. Pour une fois, nous descendrons légers car tout est en place et le fameux grand puits a été équipé la veille par Cristobal et Zape, deux autres amis de l'AER (Ramales). 

Le puits d'entrée du C8

En fait l'histoire du C8 a débuté dans les années 90. Le club de Ramales qui ratissait le secteur de l'Hornijo et de la Sierra la Verde avait découvert ce joli gouffre constitué de trois puits successifs colmatés vers -80 m malgré un courant d'air particulièrement sensible entre le 2° et dernier puits. Mais comme il n'y a pas grand chose d'autre sur le secteur, le gouffre tombera progressivement dans l'oubli.

Le P.40 ex-terminal.

En 2013, en contrebas du massif et après de longues séances de désobstruction, nous découvrons un accès au réseau de Carcabon, l'une des dernières énigmes du secteur. A cette occasion nous faisons connaissance avec l'équipe de l'AER. Le courant passe bien et nous décidons de mener les explorations ensemble. Le début n'est pas très facile car nous sommes vite confrontés à des galeries semi-noyées qu'il faut contourner par des escalades boueuses. 

Et puis, en octobre 2014, après une ultime voute rasante nous débouchons enfin dans de grandes et belles galeries. Le kilométrage va croître rapidement jusqu'à dépasser les 10 km. Les explos se font désormais lors de bivouac de 2 ou 3 jours, mais tout cela reste conditionné par la météo. En effet, ce formidable réseau dans lequel nous n'avons jamais aperçu le moindre actif, hormis quelques plans d'eau, s'ennoie sur plusieurs kilomètres en cas de crue. 

Carcabon dans une galerie supérieure

Alors il a fallu chercher un autre accès, une éventuelle sortie de secours. Avec nos amis espagnols combien d'heures avons nous passés dans les fougères et les épineux pour descendre des puits tous aussi décevants les uns que les autres ? Une centaine ? plus ?
C'est là que le C8 revient au devant de la scène.

En 2017, l'AER retourne dans le gouffre pour percer le mystère du courant d'air. Dans le dernier puits, un judicieux pendule leur permet d'atteindre une lucarne plutôt discrète. Le courant d'air s'échappe par là et s'enfile dans un joli méandre barré ponctuellement par de courts remplissages argileux. Ils en franchissent quelques uns puis s'arrêtent sur un dernier plus épais que les précédents. La proximité de la surface à cet endroit sème le doute et suffit à tourner la page, du moins temporairement.

La lucarne "clé" dans le P.40

En 2021, nous n'avons toujours rien trouvé de probant sur le secteur et le C8 demeure le seul trou à présenter un courant d'air digne de ce nom. 

Angel devant la première étroiture ouverte par l'AER

Le 17 juillet, après une première reconnaissance, nous y retournons à 4 pour s'attaquer au bouchon terminal (Cristobal, Angel, Sandrine et moi). Pendant que les uns creusent le fond, les autres agrandissent les passages bas. C'est efficace et au bout de 2 bonnes heures le soupirail est pénétrable ce qui brusquement décuple le courant d'air. C'est très bon signe. Derrière le méandre rejoint une joli salle par un petit puits de 5 m. La suite est moins évidente et semble se situer dans un puits concrétionné (P.23) et arrosé par une pisserotte dégoulinant du plafond : pas vraiment de gueule....

Derrière l'étroiture nous tombons sur une salle plus importante
et au plafond couvert d'excentriques.


Beaucoup d'aragonite.
 
Le 21 juillet nous y retournons à 2 avec Angel. Le puits est équipé et là, pas de doute, le courant d'air passe bien par ici. Par contre, le fond n'est pas très joli mais derrière un minuscule passage à agrandir, on distingue un peu de noir et les cailloux tombent d'un ou deux mètres. 

La désobstruction au bas du P.23
 
Une semaine plus tard nous voici à nouveau à pied d’œuvre accompagnés cette fois de Sandrine. La météo n'est pas terrible, le ciel est chargé et dans le P.23 la cascatelle coule bien. Angel a prévu une petite bâche pour se protéger des embruns au bas du puits et a ressorti un antique ciré. On limite la casse, mais cela ne nous empêche pas d'être rapidement trempés. Nous commençons la désobstruction, mais l'épaisse couche de calcite qui recouvre tout ne nous facilite pas la tache et les allers et retours dans le boyaux sont épuisants. Au bout de 4 h de travail nous pouvons enfin passer. Derrière, nous nous relevons dans un méandre qui plonge vers un trou noir. Mais quel trou noir ! Les cailloux que nous jetons ne touche pas les parois et chutent pendant 4 à 5 secondes. Cela semble énorme et nous estimons la hauteur à plus de 100 m. Difficile à dire. Le courant d'air, amplifié par nos travaux, est toujours là semblant nous indiquer la voie vers Carcabon...

Angel teste le rack dans le P.23.


Jeudi 5 août

La station météo de Ramales indique qu’il est tombé 25 l d’eau la veille, celle de Soba, 50 l. Le Rio est encore bien coloré mais Angel reste confiant sur l’état du P.23. Ce matin le soleil est de retour et nous montons au sec, bien chargés, avec une corde de 100 m et de quoi équiper le début du puits. Arrivés au P.23, je pars devant pour terminer d’aménager et nettoyer la tête du puits. Pour l’occasion, j’ai ressorti l’incontournable combinaison en texair jaune, seul véritable rempart contre les embruns et les ruissellements. Au bas du puits, c’est la douche et visiblement la crue a déjà fait une partie du travail de nettoyage.  Une petite corde d’assurance me permet d’aller au plus prés du puits, mais le puissant faisceau de la Scurion ne parvient toujours pas à accrocher la moindre paroi. C’est le noir complet et j’ai de plus en plus l’impression que nous sommes au plafond d’une immense salle. Le nettoyage terminé, Gelo me rejoint. Sans tarder, il s’engage dans le trou noir avec tout le matériel et après avoir posé 2 ancrages. La tête de puits reste très étroite et le ruisselet se concentre dans la goulotte. A peine 2 m plus bas, il se retrouve les pieds dans le vide, sous la cascade qui lui dégouline dans la combinaison. Petite sueur froide… Avec tout le matériel en bandoulière, l’énorme sac de la C.100, il lui faudra un moment pour s’extirper de ce mauvais pas. Dans ce laps de temps, il a pu voir la suite, ou du moins la voûte de la salle sous nos pieds. Le plafond est parfaitement plat sur 6 à 8 m jusqu’à un décrochement de 3 ou 4 m avant de redevenir plat à perte de lampe. Pas de paroi à l’horizon !!!

La tête du P. 63 après agrandissement.

Une fois ressortis du passage étroit, nous faisons le point. Il devient évident que la descente se fera plein vide du haut en bas. On ne peut donc pas laisser une telle étroiture au sommet avec la proximité de la cascade. Il faut pouvoir se décaler un peu ou détourner le filet d’eau et en tout cas il faudra de nouveau élargir le secteur. Mais pour cela il faut aussi qu’il y ait moins d’eau.

Cet élargissement fera l'objet d'une nouvelle sortie à 2, particulièrement éprouvante mais qui permettra enfin d'avoir une tête de puits praticable.

Mais revenons au dimanche 12 septembre. En prévision de la descente du "grand" puits nous avons décidé de faire des équipes réduites afin de ne pas attendre trop longtemps à la remontée. Auparavant nous nous étions concertés sur la hauteur du puits, la façon de pouvoir communiquer, de pouvoir le mesurer etc... La formule était sans appel : t² x 5, donc pour 5 secondes on obtient 25 x 5 = 125 m. 

Le samedi c'est au tour de Zape et Cristobal d'aller au C8. Ce sont des équipeurs hors pair qui passent leur été aux Picos à enchaîner les gouffres qui, lorsqu'ils font moins de 500 m sont considérés comme anecdotiques ( le site de Zape). Comme ils ne veulent pas s'embêter avec un noeud en milieu de corde, nos deux gaillards en remontent 200 m. A ce moment là, ils ont encore confiance en notre jugement...

De notre côté nous attendons le résultat des courses, prêt à prendre la suite le lendemain. En fin d'après midi, nous avons enfin de contact. Ils ont équipé le puits qui effectivement arrive au plafond d'une grande salle dont ils estiment les dimensions à 100 m x 200 m. Il y a des puits, mais pas forcément très prometteurs.

- Et le grand puits ???? (Silence gêné, ils doivent respecter notre grand âge).
- Heu ben, c'est à dire qu'il doit faire moins de 100 m, disons 80 ou 90 m.
- C'est tout ? Vous êtes certains ?
- Heu, pas vraiment vous verrez...
- et la cascade,
- (je devine un petit sourire) pas de problème on a équipé une petite main courante, vous verrez elle est bien...

Du coup le dimanche nous partons léger : exit les talkies pour communiquer, le fil de pêche pour la mesure du puits (le disto étant insuffisant) et tout le tintouin pour affronter une grande verticale. Aujourd'hui le P.23 coule un peu moins et nous évitons la douche. Angel passe le premier. Je le suis, disto et appareil photo en main. 

Le sommet du P.63 vu de l'extrémité de la main courante.

Sous nos pieds c'est le vide, rien que du vide. Mais sur la droite je vois la corde courir de points en points le long d'un petit redan qui se pince progressivement jusqu’au début de la verticale. Du bel ouvrage ! Zape et Cristobal n'ont pas fait les choses à moitié pour éviter la cascade. Pour aller plus loin il aurait fallu spiter au plafond. Gelo ne dit pas grand chose et se concentre maintenant sur son rack (descendeur à barrettes). Une fois en bas il place son sac pour faire le point topo. Je multiplie les visées mais le résultat est sans appel : 63 m ! C'est quoi cette formule !

A partir de là, c'est tout droit !

Je le rejoins et même avec seulement 63 m, la descente reste impressionnante surtout sur de la 8,5 neuve. 


Un petit aperçu du puits et de la salle José Gambino

Arrivé au bas, je retrouve Gelo qui trie déjà le matériel laissé par nos deux compères. Du coup, la corde ne manque pas et il en va de même pour les amarrages. Les sacs étant reconditionnés, nous partons lourdement chargés dans une direction censée nous rapprocher de Carcabon et où Zape avait repéré quelques puits. Nous finissons par rejoindre une paroi et convenons qu’il sera bien difficile de tout concilier, la topo et la descente de puits que nous n’avons pas encore localisés. Nous abandonnons donc nos charges et décidons de faire le tour de la salle en réalisant la topographie. Sage décision car celle-ci va nous occuper un moment d’autant plus que nous en profitons pour fouiller les moindres recoins rencontrés en chemin. Nous retrouvons les repères indiquant les puits signalés par Zape et Cristobal, mais dans l’ensemble ces derniers ne nous inspirent guère car il semble que ce soit plus des vides formés entre la paroi de la salle et le monstrueux éboulis qui l’occupe. Et bien sûr, nous avons perdu toute trace du courant d’air. Après avoir déroulé pas moins de 600 m de topo pour faire le tour de la salle, nous retrouvons nos sacs. Il est plus de 17 h, il est temps de remonter. Étant peu chargés, le retour est finalement plus rapide que prévu et 2 h plus tard nous sommes dehors sous un beau soleil.

La semaine suivante (19 septembre) nous retournons une dernière fois au C8 (Angel, Pedro et moi). Parmi les puits vus la semaine passée nous en descendons un qui se poursuit sur plus de 70 m en plusieurs crans (-255 m). La corde manque mais la vision que nous avons du fond ne nous rend pas très optimistes. Il va falloir continuer à fouiller la salle car Carcabon est tout proche (environ 150 m). On y croit encore...

Au milieu même de la salle,
nous descendons une succession de puits
sur environ 70 m de profondeur.

 
La salle du C8 a été baptisée sala José Gambino en mémoire d'un compagnon de route des spéléos de l'AER et plus particulièrement de Zape et Marta. José est décédé de façon tragique sous une trémie il y a quelques années et pas de doute c'est un bel hommage que lui rendent ses amis.
D'après ses mensurations la salle occuperait la troisième place parmi toutes celles de la péninsule ibérique. Mais peu importe le classement, elle nous a offert un beau moment de spéléo.
 
L'exploration du C8 vue par nos amis de Ramales c'est ici.

 

Patrick 


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