Jacques Jolfre, l'appel des profondeurs

 

Né le 9 juin 1937 à Toulouse, Jacques est le cadet d’une fratrie de trois garçons. Il passe sa plus tendre enfance à Toulouse aux côtés de ses parents qui tiennent une usine à chaussures. Mais très vite, toute la famille déménage sur Montréjeau pour trouver un terrain plus grand et plus adapté pour monter une nouvelle et plus moderne usine à chaussures.

Et c’est là que tout va se jouer pour Jacques. Comme dit un proverbe : «  Dans la vie, on a besoin que d’une seule chose pour être heureux : une passion qui nous fait vraiment vibrer». Et pour qu’une passion naisse, il ne faut pas grand chose parfois…un livre, un article, une rencontre…

La rencontre...

C’est ce qui arrive à Jacques alors qu’il n’a que 13 – 14 ans lorsqu’il a en main son premier livre de Norbert Casteret emprunté à la bibliothèque de Montréjeau. Ignorant tout de Norbert Casteret, qui deviendra par la suite son Mentor et grand Ami, et ignorant tout de la spéléologie, ce livre l’intrigua… Début d’une passion débordante. 

Jacques Jolfre et Norbert Casteret
 

Le 24 juin 1956, en pénétrant dans la grotte de Tibiran, non loin de Montréjeau, il ne s’attend pas à découvrir sur les parois des peintures préhistoriques de mains ocres, noires et rouges, sensiblement identiques à celles de Gargas. Enthousiasmé et stupéfait par cette découverte, il décide alors d’en faire part à Norbert Casteret qui habite Saint Gaudens.

Début d’une belle et grande amitié entre les deux hommes. Norbert Casteret voit très vite en lui la passion pour la spéléo et l’incorporera dans son équipe malgré la différence d’âge entre eux. Jacques n’a alors que 19 ans à l’époque… Norbert, lui en a 59.

Une véritable complicité

Jacques Jolfre, l'explorateur

Ainsi au fil du temps et à chacun de ses retours d’expéditions ou explorations, il retranscrit aussitôt ses notes prises sur le vif dans un journal de bord qu’il tient méticuleusement tout au long de sa vie. Il y en aura 7 en tout de 200 pages chacun…tout comme pour la montagne d’ailleurs, son autre grande passion.

Le 24 juin 1963, le Commissariat de la Jeunesse et des Sports lui décerne la Croix de Chevalier du Mérite Sportif par le nombre impressionnant de cavernes et gouffres qu’il a dès lors exploré (s’élevant au nombre de 338).

Jacques Jolfre entouré de Bruno Bourdel et Jean Tornamorel.
 
A son actif, et juste pour résumer l’essentiel, plus de 900 explorations toutes différentes, 187 descentes dans le gouffre d’Esparros qui lui tenait à cœur… (d’ailleurs sacré fervent avec Casteret pour sa protection à l’époque), plusieurs découvertes de gouffres à son actif, notamment le gouffre du Bassia en 1960 ( -365m), celui du Pic d’Areng en 1964 (-275m), ainsi que celui d’Ercé en Ariège en 1963 (- 165 m), du P2 dans le massif du Portillou en Ariège en 1969 (-350 m), de la Sima du Taillon en 1971… re-découverte du Pont de Gerbaut après Martel, Casteret et De Joly qui permit malgré la complexité de nombreux abîmes qui l’entourent de le joindre et de le relier à d’autres gouffres dont le Trou du Vent et le Gouffre Raymonde, ce qui donne au réseau une dénivellation de 904 m, troisième le plus profond du monde. D’ailleurs il écrit à ce sujet : « Si sa configuration variée, offrant tous les visages de la spéléologie, son importante profondeur classent ce gouffre parmi les plus beaux que j’aie jamais descendu, la place particulière qu’il occupe en moi est due aux moyens d’exploration dont nous avons usés et aux conditions dans lesquelles se sont déroulées nos…22 expéditions nécessaires pour en venir à bout. ». 

Dans la galerie Aranzadi avec N. Casteret.

En juin 62, il atteint avec 3 de ses compagnons - et ce après 12 ans d’exploration depuis sa découverte - le fond de La Pierre Saint-Martin à – 845 m, ce qui classe ce gouffre à cette époque comme le deuxième du monde en profondeur… 

A la Pierre St Martin, l'équipe Queffelec à la manœuvre.   
 

La salle La Verna

Et puis il y a ce gouffre qui porte les initiales de son découvreur dans le massif du Marboré…le gouffre JJ : - 585 m…Ses aventures, il ne les a pas entrepris seul, toujours formées par une petite équipe souvent différente mais toujours bien soudée, équipe que nous ne pourrions hélas toute citer tant par le nombre important de compagnons qu’il a côtoyé dans sa vie. 

 

Au col des Sarradets, lourdement chargés.

Dans les cascades glacées du gouffre du Taillon.

On peut tout de même citer entre autres René Laffranque, Claude Naves, Maxime Felix et sa femme Raymonde (la fille de Norbert Casteret), Bruno Bourdel, Jean Tornamorel, Jean Pueyo, l’équipe de la 2ème d’Aix, Bernard Clos, Michel Soula, Maurice Duchène, Guy Prince et sa femme, Christian Rey, Jean Claude Boyer, Jacques et Serge Castaing, Pol Yvon Kis, Gilles et Jean Louis Heib, Christian Cailhol, Guy Sénévrier, Gérard Delforno, Luc et Jean Ritter, Christian Mesnier… 

Prospection sur Tuquerouye en novembre 1976

Prospection sur le versant nord du Mont perdu

Aussi écrit il ceci : « Outre les aventures merveilleuses qu’elle fait vivre, la spéléologie a ceci de particulier, c’est qu’elle suscite et crée une amitié à toute épreuve. Elle scelle pour la vie les compagnons d’une même équipe pour le meilleur et pour le pire. Quelle entente parfaite, quelle communion d’esprit existe-t-il entre spéléologues ! Ils s’aident mutuellement, s’encouragent dans les moments difficiles - et il y en a beaucoup au sein des grands abîmes. Ils partagent les mêmes joies, s’enthousiasment à la moindre découverte, se communiquent leur entrain, leur espoir. Ils s’épaulent devant les obstacles à franchir, s’inquiètent et s’empressent pour celui qui ne peut suivre, qui ressent un « coup de pompe ». Je ne connais pas d’activité ou de sport qui porte ainsi au paroxysme l’amour du prochain et l’esprit de la franche et de la plus parfaite camaraderie. »

Compagnons d'exploration

Avec ses amis, ils consacrent des jours et des jours entiers engloutis sous la montagne à des séances d’explorations peu banales et éprouvantes, passant régulièrement des week-ends de trente heures sans dormir. « Nous enfonçant dans le gouffre après trois heures de marche dans la neige et la tourmente (une fois, nous estimâmes le vent à 120 km/h !), le samedi matin, nous ne faisions surface que le dimanche après-midi, après avoir passé une « nuit blanche » dans les ténèbres souterraines. Par analogie avec les fameuses « Nuits de Chine, Nuits câlines, Nuits d’ivresse » de la vieille chanson 1900, nous baptisions ces séances nocturnes : « Nuits de Chine » ! »

Après un réveillon bien arrosé dans le gouffre d'Esparros.

A cela s’ajoutent d’autres passions : la montagne, le deltaplane…et la photographie. Une existence XXL. A ce jour, quelques 50 000 photos dans sa photothèque, tous confondus…de la spéléo aux grottes glacées du Marboré, des crevasses des glaciers aux multiples bivouacs sur les sommets, du deltaplane au survol des Pyrénées avec son ami Eric Soulé de Lafont pour leur fameux livre « Les Pyrénées vues du ciel »…Admirable.

Il n’y a dès lors pas un endroit dans les Pyrénées qui ne soit pas représenté sur sa pellicule. 

 

En tournage dans le réseau Trombe

Hormis toutes ses passions, Jacques travaille d’abord à l’ORTF avec un de ses amis avant d’intégrer l’usine de Péchiney à Lannemezan puis celle de Marignac comme chef d’équipe. Mais ce travail ne lui donne guère satisfaction car pas assez de temps pour s’adonner entièrement à ses passions. Il s’associera alors avec son frère Lucien pour monter une petite entreprise de réparation de jeux de salles ( flippers, juke-box, jeux vidéo, baby foot…). 

Jacques est également cinéaste

 

Quand la vidéo remplace l'argentique...

 Écrivain, photographe et cinéaste.

Parallèlement à cela, il donne de multiples conférences sur la spéléo, montant jusqu’à même Aurillac et Clermont Ferrant, réalise des films et des diaporamas « Explorateurs d’abîmes » - « Lumière dans les ténèbres » - «  Dans les profondeurs de la Terre » - « Esparros » - « Merveilles du Monde Souterrain »… Il publie 36 ouvrages sur les Pyrénées ( livre de collection ( dont 1 consacré à « Norbert Casteret – explorateur d’abîmes » et 2 autres à la spéléo «  Au cœur des Pyrénées – l’aventure souterraine » et « Pyrénées souterraines ») ainsi que des topos guides montagne, essentiellement édités aux Editions Sud-Ouest), sans oublier son tout premier livre en 1965 « L’appel des profondeurs» aux Editions Marabout. 

Il en écrit également 2 de plus qui ne seront jamais mis en publication : «  Commandos de la nuit ou l’exploration du Gouffre du Pont de Gerbaut » et « Journal d’un spéléologue ». Il écrit également de nombreux articles dans bons nombres de revues telles Pyrénées Magazine, Respyr, La Revue pyrénéennes, Alpirando, Balade en France, Montagne Magazine, etc…    

Dans les années 70, il effectue avec ses fidèles compagnons René Laffranque et Michel Soula la traversée des Pyrénées d’Ouest en Est (32 jours en tout en plusieurs étapes – travail oblige) en traçant son propre itinéraire de haute randonnée franco-espagnol…et non sans contraintes côté espagnol en ce temps là où ils connurent quelques déboires avec la guardia civil…

En juin 1980, il sera le premier montagnard du versant Nord à publier dans la Revue Pyrénéenne    n° 10 une liste de 132 sommets dépassant les 3000 mètres, tous gravis, établissant par la même occasion, et ce pour la première fois, une différence entre les principaux et les secondaires. Viendra aussi par la suite sa participation pour le fameux livre de Juan Buise « Les 3000 des Pyrénées » publié en françaiset espagnol.

De cette vie trépidante et enthousiaste, il en a fait une priorité et ce malgré cet accident de la route survenu un soir de mars 1981 qui faillit lui être fatal pour lui et son fidèle compagnon de route Michel Soula en rentrant de la Sierra de Guara. Un stupide camion doublant en plein virage en Espagne. Michel s’en tirera à peu près bien…Jacques beaucoup moins. Mais à la longue, sa force et sa détermination auront bien raison de ses souffrances.

 

Jacques et les nombreuses publications dont il est l'auteur. Comme un clin d’œil à son mentor, Norbert Casteret, on voit en arrière plan une photo de ce dernier posant dans la même situation.



Jacques JOLFRE s’est éteint le 30 septembre 2020 à l’hôpital de Saint-Gaudens suite aux complications de sa maladie d’Alzheimer.

Humble et discret tout au long de sa vie, et ne faisant guère grand bruit dans les médias, Jacques a su conserver son intégrité et son intimité bien qu’ayant sa place chez les plus grands pyrénéistes et spéléologues de notre époque.

Lors d'une interview avec Norbert Casteret sur Radio Toulouse.

Dans son fort intérieur, il n’a jamais cessé de murmurer cette phrase de Russel qui dit :       « Qu’elles soient trois fois bénis les heures et les années que j’ai passées dans ces régions sereines et lumineuses d’où l’on revient plus pur et plus heureux. »

A toi Jacques. Que ta mémoire et tes écrits perdurent encore très longtemps… 

Isabelle Jolfre, nièce de Jacques.

 

 


 

Bibliographie de Jacques Jolfre

1 - L'appel des profondeurs, Editions Marabout, 1965.

2 - Pyrénées 3000, Editions Sud-Ouest, 1990.

3 - Pyrénées Souterraines, Editions Sud-Ouest, 1990

4 - Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 1992.

5 - Norbert Casteret, Explorateur d'Abîmes, Editions Milan, 1992.

6 - Au cœur des Pyrénées, Editions Milan, 1993.

7 - Les plus beaux massifs des Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 1998.

8 - Randonnées dans le Luchonnais, Editions Sud-Ouest, 1999.

9 - Randonnées dans les Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 2000.

10 - Les Pyrénées vues du ciel, avec Eric Soulé de Lafont, Editions Sud-Ouest, 2000.

11 - Les plus beaux lacs des Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 2000.

12 - Randonnées vers les plus beaux lacs des Pyrénées, Rando Editions, 2001.

13 - Randonnées en Pays Cathare, Rando Editions, 2002.

14 - Les Pyrénées de A à Z, Editions Sud-Ouest, 2002.

15 - Paysages des Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 2002.

16 - Randonnées découvertes, Rando Editions, 2003.

17 - Les Pyrénées autrement, Rando Editions, 2004.

18 - Pyrénées des Quatre Saisons, Editions Sud-Ouest, 2004.

19 - Lacs et sommets, Rando Editions, 2006.

20 - Pyrénées secrètes, Editions Sud-Ouest, 2006.

21 -Bivouacs Pyrénéens, Editions Sud-Ouest, 2008

22 - Les plus beaux lacs des Pyrénées 2, Rando Editions, 2009

23 - Les plus beaux lacs des Pyrénées Vol. 1 Nlle Edition revue et modifiée, mars 20Il.

24 - .Randonnées Pyrénéennes. Nlle Edition revue et modifiée, mars 2012

25 - A la découverte des plus beaux lacs, Rando Editions - Sortie Avri12Ü13.

Ouvrages dont Jacques a assuré, en partie ou en totalité, l'illustration :

26 - Connaître les Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 1990.

27 - Cathares, Editions Sud-Ouest, 1992.

28 - Connaître la Haute-Garonne, Editions Sud-Ouest, 1992.

29 - Connaître l'Ariège, Editions Sud-Ouest, 1994.

30 - Connaître les Cathares, Editions Sud-Ouest, 1995.

31 - Connaître les pays toulousains, Editions Sud-Ouest, 1999.

32 - 100 photos pour un pays, les Cathares, Editions Sud-Ouest, 1999.

33 - 100 photos pour un pays, les Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 2000.

34 _100 sommets des Pyrénées, Rando Editions, 2007.

35 - Pyrénées, Editions Sud-Ouest, 2009.

36 - Connaître les Pyrénées (Nlle version) Editions Sud-Ouest, 2010.

 

Revues: près de 600 à 650 articles publiés dans diverses revues :

Pyrénées Magazine, Montagne Magazine, Respyr, Destination Montagne, Archeologia, Détours en France, Alpinisme et Randonnée, Balades en France, Géo, Sélection du Reader's Digest Atlas, Ici et Là, Science et Avenir, etc....






Commentaires

  1. Une vie magnifique de notre regrete ami J J . Merci Isabelle pour ce récit. Baro jean luc

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  2. Chaque fois que je contemple Les Pyrénées, j'ai souvent une pensée pour Monsieur Jolffre, qui est un grand pyreneiste avec un grand cœur . Pour moi,ce fut une chance de l'avoir connu.
    Merci pour tout Monsieur Jolffre, et c'est toujours un plaisir de réouvrir un de vos livres et d'admirer vos belles photos de nos chères Pyrénées

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